Aimer, est-ce naturel?
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Un début de problématisation ...
Aimer, est-ce naturel ?
ÉTAT DE NATURE Opposé à "état civil", l'état de nature désigne chez Rousseau, Locke ou Hobbes, la situation de l'homme antérieurement à toute
société organisée. Il n'est pas nécessaire de penser que l'état de nature a réellement existé; c'est une hypothèse propre à déduire certaines caractéristiques de l'état social, et en particulier la nécessité du contrat.
-La nature comme origine et comme valeur Cependant, n'y a-t-il pas une certaine présomption à croire que la nature est ainsi en notre pouvoir? En dépit de l'optimisme des Lumières*, Jean-Jacques Rousseau* estime que la domination de la nature n'augmente pas notre bonheur* et notre liberté*. En effet, pour lui, la nature n'est pas seulement la
matière et l'étendue qui s'offrent à la compréhension d'un
esprit rationnel. L'homme, par son ingéniosité et son travail, l'a transformée au point de la rendre méconnaissable. L'homme lui-même et ses facultés n'échappent pas à ce processus de transformation. Comme notre corps* ne peut plus se satisfaire de la simplicité des origines, nos désirs* nous éloignent des vrais besoins et notre amour-propre nous conduit à bannir l'égalité de notre
vie sociale: loin de considérer que les lois de la
société ou de l'économie sont naturelles, contrairement à certains de ses contemporains, Rousseau
fait de la nature une notion critique: origine perdue mais que la raison* peut reconstituer, elle est le modèle au nom duquel les errements des individus et de la
société peuvent être dénoncés. Ainsi la pitié*,
sentiment spontané de sympathie envers la souffrance, est-il une trace de l'origine qui se manifeste de façon spontanée, mais aussi un caractère fondamental de l'homme, qui résiste à l'habitude, issue de l'histoire*, de supporter la vue de la pauvreté par exemple. Lucrèce* disait déjà que la
connaissance de la nature devait nous permettre la
connaissance de la
réalité même, par opposition aux chimères issues de notre
esprit trop prompt à croire qu'il existe des forces surnaturelles. Elle libère dans la mesure où elle nous approche de la réalité. Actuellement, la réflexion issue de l'écologie*, comme étude des équilibres naturels, nous rappelle que la
connaissance de la nature ne nous donne pas seulement la
conscience du
pouvoir de l'homme, mais aussi celle de ses limites (cf. Hans Jonas).
ROUSSEAU
-La généalogie du mal: état de nature et état social "Je vois le
mal sur la terre", dit, dans l'_Émile*_. le Vicaire savoyard. Le mal, c'est la servitude, l'arbitraire politique, l'hypocrisie sociale, l'artifice et les calculs égoïstes: c'est l'amour-propre*, que Rousseau distingue de l'amour de soi*, souci naturel qu'a l'homme de sa conservation; c'est la domination des passions* funestes à l'homme, le pouvoir, la gloire, l'argent... En somme, c'est l'homme séparé de lui-même et des autres, la perte de la transparence, et l'absence de communion entre les êtres. Ce constat concerne l'homme
vivant en société. Ce n'est pas là son état originel, mais le résultat d'une évolution au cours de laquelle il s'est dénaturé. Si Rousseau refuse le dogme du péché originel (l'homme n'est pas mauvais par nature), il n'accuse pas pour autant Dieu: c'est l'homme lui-même qui s'est corrompu. Cette corruption relève de sa liberté. Aussi le bienheureux "état de nature*" précédant la
vie en
société n'est-il, dans le _Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes_ (1755), qu'une simple hypothèse nécessaire à montrer que le
mal n'est pas inné. L'homme aurait tiré le
mal de son innocence originelle -où, solitaire et indépendant, il ne connaît ni la morale, ni la raison- par sa seule perfectibilité*. Celle-ci n'est donc pas, comme chez Kant* ou Condorcet*, la source d'un progrès*, mais bien celle d'une dénaturation -dont la
vie en
société est le terme désastreux. L’homme a une tendance à l’agression
« Cette tendance à l'agression, que nous pouvons déceler en nous-mêmes et dont nous supposons à bon
droit l'existence chez autrui, constitue le facteur principal de perturbation dans nos rapports avec notre prochain ; c'est elle qui impose à la civilisation tant d'efforts. Par suite de cette hostilité primaire qui dresse les
hommes les uns contre les autres, la
société civilisée est constamment menacée de ruine. L'intérêt du
travail solidaire ne suffirait pas à la maintenir : les
passions instinctives sont plus fortes que les intérêts rationnels. La civilisation doit tout mettre en oeuvre pour limiter l'agressivité humaine et pour en réduire les manifestations à l'aide de réactions psychiques d'ordre éthique. De là cette mobilisation de méthodes incitant les
hommes à des identifications et à des relations d'amour inhibées quant au but ; de là cette restriction de la
vie sexuelle ; de là aussi cet idéal imposé d'aimer son prochain comme soi-même, idéal dont la justification véritable est précisément que rien n'est plus contraire à la nature humaine primitive. Tous les efforts fournis en son nom par la civilisation n'ont guère abouti jusqu'à présent. Elle croit prévenir les excès les plus grossiers de la force brutale en se réservant le
droit d'en user elle-même contre les criminels, mais la loi ne peut atteindre les manifestations les plus prudentes et les plus subtiles de l'agressivité humaine. Il est toujours possible d'unir les uns aux autres par les liens de l'amour une plus grande masse d'hommes, à la seule condition qu'il en reste d'autres en dehors d'elle pour recevoir les coups. »
S. Freud, Le Malaise dans la
culture (1929)
B) « Tous les efforts fournis en son nom par la civilisation n'ont guère abouti jusqu'à présent. »
On pourrait être tenté de contester ce postulat : l'homme n'est-il pas caractérisé par sa raison, et ne peut-on espérer en sa dignité et lui faire confiance pour qu'il comprenne ses véritables intérêts ? Mais à cette objection on répondra tout d'abord que l'expérience montre que cette confiance serait
mal placée, et surtout que le raisonnement demande un effort qu'il est difficile, voire impossible, de maintenir en permanence. Aussi la civilisation est-elle condamnée à chercher d'autres moyens de « limiter l'agressivité humaine ».
Ces autres moyens visent à provoquer ce que Freud appelle des « réactions psychiques d'ordre éthique ». On peut penser ici au conflit entre le « surmoi », cette partie du psychisme constituée par l'intériorisa¬tion des interdits, et le « ça » qui représente les pulsions primitives. Ce qui caractérise le domaine de l'éthique, c'est en effet la notion de culpabilité, par laquelle chacun se sentira poussé à réfréner ses tendances primitives. Dès lors, céder à ses instincts provoque la haine de soi et la force du souci de se valoriser peut lutter contre l'énergie agres¬sive. Ce n'est plus cette fois le conflit de la
raison contre la nature, mais d'une énergie psychique contre une autre.
Ainsi apparaît un commandement étrange, posé comme un idéal, celui d'aimer son prochain comme soi-même. Par ce commandement, l'énergie libidinale se trouve transmuée. Autrui ne doit plus être vu comme un éventuel objet de plaisir, mais comme un objet de respect. On pourrait cependant faire remarquer (comme l'a
fait Freud lui-même) qu'il y a quelque chose d'absurde dans le projet de faire de l'amour une obligation morale. Comment pourrais-je aimer ceux qui ne sont rien pour moi, ce qu'il faudrait pourtant faire puisqu'il s'agit d'aimer universellement ? Et quand bien même j'y parviendrais, aimer ne signifie-t-il pas marquer une préférence ? Par définition, je ne peux pas préférer tout le monde.
Mais cette étrangeté s'explique si l'on pose que la
raison d'être du commandement d'amour est cachée : « La justification véritable est précisément que rien n'est plus contraire à la nature humaine primitive ». Cela revient à dire que sous l'apparence idéale de l'amour universel, ce qui est en
réalité exigé c'est de contrarier en permanence sa véritable nature. Ainsi s'explique l'échec constaté par Freud : « Tous les efforts fournis en son nom par la civilisation n'ont guère abouti jusqu'à présent ».
De manière un peu rapide, Freud passe ensuite à la question de la répression proprement dite, en remarquant que la violence est le moyen par lequel la civilisation entreprend de lutter contre la violence, paradoxe que ne peut justifier à lui seul l'affirmation du droit. L'univers de la loi n'est donc pas « à part », purifié de toute agressivité, ce qui met en évidence la véritable justification de l'éthique. Lorsque l'arsenal des moyens moraux, reposant sur l'inhibition et l'autocensure, s'avère insuffisant, la loi recourt à cette violence même qu'elle a pour fonction d'éliminer, ce qui prouve l'impossibilité de cette élimination.
C'est que, contrairement à ce que voudrait nous faire croire un certain discours à prétention morale, l'agressivité n'est pas simplement le déchaînement absurde de la force brutale et stupide. L'agressivité contrariée sait ressurgir sous d'autres formes. On pourrait insister davantage sur la présence de la violence dans les discours qui préten¬dent l'exclure, et remarquer que la répression sexuelle, loin d'être néces¬sairement orientée vers le souci du bien de celui contre qui elle s'exerce, peut constituer un exutoire aux frustrations. Du souci moral à la satisfaction sadique de voir sa puissance s'exercer, la frontière n'est pas tou¬jours si évidente. Or, s'il est donc
vrai que la violence peut revêtir de multiples formes, y compris là où le discours prétend vouloir éliminer toute trace d'agressivité, la loi ne peut la supprimer.
Le texte se termine sur une remarque très pessimiste : à supposer la relative réussite des tentatives faites pour « unir les uns aux autres par les liens de l'amour une plus grande masse d'hommes », cette réussite ne peut se faire que sur le dos d'autres hommes. Il faut en effet toujours un exutoire à l'agressivité originelle. Il faut donc une partie de l'humanité qui soit si l'on peut dire « réservée pour la haine », et en
réalité rien ne soude davantage un groupe que cette communion dans le rejet. On s'étonne parfois qu'il y ait eu dans l'histoire des guerres de religion, en présupposant que toute
religion visant à unir les hommes, elle doit enseigner l'amour du prochain, incompatible avec le déchaînement de violence que suppose la guerre. Il entre vraiment beaucoup de naïveté, en particulier politique, dans cet étonnement. Mais même en supposant que les guerres de
religion aient bien des motifs religieux, la commu¬nauté des croyants sera d'autant plus soudée qu'elle reconnaîtra en dehors d'elle un ennemi commun, et donc la psychologie rend claires les apparentes contradictions entre le discours éthique ou religieux et les comportements qu'il engendre. On peut reconnaître ici le thème du « bouc émissaire », chargé des péchés de tout le peuple, et qui doit être sacrifié afin de réconcilier la communauté.
Est-ce à dire qu'il faut se résigner à considérer la violence comme un
fait inéluctable, et se complaire dans un pessimisme lucide mais inactif ? Certes non. Tout d'abord, la nécessité de la combattre est tout aussi inéluctable. Mais surtout, penser l'échec n'est pas renoncer. Il convient d'en récapituler les causes. Nous avons vu qu'il était vain d'espérer triompher de la violence par un simple appel à la
raison et à l'intérêt bien compris. En effet, si l'on peut oser cette expression, le « ça » est subtil. Ce que tout le monde a retenu de Freud, c'est que les tendances inconscientes ont leur
vie propre, et même leurs ruses. Confrontées à la
réalité du monde extérieur, elles peuvent se transformer afin de trouver leur satisfaction de façon détournée. C'est bien ce que montre le texte en mettant en évidence tout ce qu'il subsiste d'agressivité dans les procédés mis en place pour éliminer la violence.
Toutefois, ces procédés font généralement appel à l'imaginaire. Les idéaux visent à contrarier la nature en la niant et en offrant au psychisme des satisfactions imaginaires de substitution. De même, le sacrifice du bouc émissaire est une mise en scène qui en conférant une visibilité au
mal en masque la permanence et les véritables causes. A partir de là , on peut deviner les intentions de Freud. L'analyse psycho¬logique vise à comprendre les mécanismes qui conduisent à l'agressivité et ainsi tend à en dénoncer les masques. Tant que l'on s'obstine à opposer l'amour à la haine comme le bien au mal, tant que l'on
fait simplement appel au surmoi pour qu'il oppose sa force à celle du ça, le moi reste aux prises avec des exigences contradictoires qu'il ne peut lucide¬ment affronter. La conséquence en est le développement des névroses.
Introduction
Aimer quelqu'un, c'est lui être attaché passionnément et vouloir partager son existence. Comment peut-on se sentir attiré irrésistiblement par quelqu'un et avoir le
sentiment d'être libre dans le choix de son objet d'amour ?
I. L'amour comme passion
A. Force du
sentiment et bouleversement
B. Passion et dépossession de soi
C. Fusion et condition de vie
Transition
La
passion amoureuse semble déposséder l'individu de ses moyens et de lui-même, et en même
temps elle requiert son inventivité. Comment cela est-il possible ?
II. L'amour entre la passivité et l'action
A. Définition de l'amour
B. Amour de concupiscence, amour de bienveillance
Transition
L'amour est-il
désir d'appropriation de l'autre ou
désir du bien de l'autre ?
III. L'amour comme construction de soi et de l'humanité
A. Apprendre à aimer
B. Fragilité de l'amour
C. S'aimer soi-même
D. L'amour comme expansion et réalisation de l'humanité
Conclusion
L'amour est dépense affective qui signifie à l'autre sa valeur et l'engage à construire une
existence généreuse, propre à réaliser au mieux l'humanité.
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Citations sur Aimer, est-ce naturel? :
Le besoin du droit naturel est aussi manifeste aujourd'hui qu'il l'a été durant des siècles et même des millénaires. Rejeter le Droit naturel revient à dire que tout droit est positif, autrement dit que le Droit est déterminé exclusivement par les législateurs et les tribunaux des différents pays. -
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