le vivant est il comparable à une machine?
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Un début de problématisation ...
Le
sujet propose l'application d'une problématique des plus classiques (le
vivant se ramène-t-il à la machine ?) à un domaine spécifique (celui de la pratique médicale). Il s'agit alors de montrer comment cette application
fait surgir les enjeux éthiques de cette comparaison, mais aussi comment elle permet de renouveler la question des rapports entre le
vivant et la machine.
Même face à une question sensible (parce qu'elle touche au corps, à l'identité, à la souffrance, etc.), il faut savoir se garder de l'unilatéralité : il s'agit de parvenir à être attentif en même
temps à ce qui
fait la pertinence et la force d'une comparaison, et à ce qu'elle risque de mas¬quer ou d'occulter, donc à ce qui
fait qu'elle n'est qu'une comparaison et non une identification pure et simple. Mener à bien une comparaison, c'est prendre la mesure des ressemblances, mais aussi des différences, entre les termes à comparer.
VIVANT À la différence des mots
physique ou mathématiques, très tôt employés pour désigner des régions clairement définies de la connaissance, le terme biologie (littéralement: "science du vivant") ne date que du début du XIX^e siècle. Cela ne signifie pas que l'étude des êtres vivants n'a commencé que depuis 200 ans (dès l'Antiquité, des philosophes comme Aristote* s'y étaient intéressés); mais ce n'est que vers cette époque que l'objet
vivant est défini dans sa généralité, c'est-à -dire que la propriété "être vivant" est conçue comme à la fois commune et spécifique à un certain nombre d'êtres, et qu'il est possible d'en déterminer les lois. On savait bien depuis longtemps, évidemment, reconnaître des différences entre le
vivant et le non-vivant, l'animé et l'inerte. Mais la science du
vivant ne se constitue que lorsqu'on est à même d'expliquer et d'analyser l'ensemble des propriétés qui expliquent cette différence. -Trois découvertes décisives Trois grandes découvertes fondent alors, au XIX^e siècle, la biologie comme science. D'abord, la
théorie cellulaire, qui établit l'existence d'un constituant commun à tous les êtres vivants, la cellule, et permet la
connaissance de plus en plus approfondie de sa structure. Ensuite, la génétique: dans la deuxième moitié du XIX^e siècle, Johann Mendel met en évidence les lois qui règlent la reproduction et la transmission héréditaire. Enfin, les théories de l'évolution* -Lamarck* au début du siècle dernier, puis surtout Darwin* -essayent de comprendre l'"histoire" des espèces, et ruinent définitivement l'idée qu'elles ont été créées, dès l'origine, une fois pour toutes ("fixisme"). -Qu'est-ce qu'être vivant? Ce que les êtres vivants ont à la fois de commun et de spécifique, c'est d'être des organismes*, c'est-à -dire des systèmes existant par soi, et dont toutes les parties (les organes) sont interdépendantes et ont des fonctions* qui concourent à la conservation du tout. Plus précisément, le propre de tout organisme est, premièrement, de se nourrir et de se développer grâce à une relation constante avec un milieu extérieur; deuxièmement, de
pouvoir se reproduire; troisièmement, d'être capable (au moins en partie) d'autorégulation (par exemple, l'organisme malade secrète des anticorps) et d'autoréparation (le phénomène de la cicatrisation, par exemple). Aussi peut-on comme Claude Bernard*, définir la
vie comme "création", soulignant par là qu'elle est, selon le mot du physiologiste Marie François et Xavier Bichat (1771-1802), "l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort". -Vitalisme et mécanisme Cette "création" du
vivant a depuis longtemps frappé l'imagination humaine, et on en cherchait volontiers l'explication dans une "force vitale", qu'on pouvait nommer "âme*" ou, à la manière d'Aristote*, "entéléchie*". Un tel vitalisme* relève de l'explication métaphysique*, puisque cette force est mystérieuse et que la reconnaître
fait échapper le
vivant aux lois communes de la nature. Le vitalisme
fait du
vivant un empire dans un empire, une zone d'indétermination définitivement rebelle à la science. C'est pourquoi l'attitude naturelle de l'esprit scientifique est de substituer à cette "métaphysique du vivant" une "physique du vivant", semblable à celle des objets inertes. Cette intention culmine au XVII^e siècle, avec le mécanisme* de Descartes*. Celui-ci conçoit l'être vivant, et la nature entière, comme une machine* automate: les organes ne sont rien d'autres que des rouages, et la vie* rien d'autre que la façon dont le mouvement se transmet de rouage en rouage à partir d'une impulsion initiale. Telle est notamment la
théorie cartésienne des animaux*-machines. Il est clair, dans ces conditions, que le
vivant perd tout mystère. La "force vitale" est expulsée et, pour Descartes, l'âme n'est pas un principe de vie, laquelle n'est que du mécanisme, mais s'identifie à la pensée. Le mécanisme fut pour l'intelligence du
vivant un paradigme fructueux, en permettant d'établir ce qui, dans un organisme, fonctionne véritablement mécaniquement (ainsi l'Anglais William Harvey a mis en évidence, au XVII^e siècle, le rôle de "pompe hydraulique" joué par le coeur dans la circulation sanguine). Mais, inversement, la réduction au modèle de la machine rend aveugle aux spécificités de l'organisme: contre le mécanisme, Kant* a
raison d'objecter qu'on n'a jamais vu deux montres, par exemple, donner naissance à une troisième! -"La
vie n'existe pas" D'où, au XVIII^e siècle, un regain du vitalisme, en particulier avec le médecin Paul-Joseph Barthez et l'école de Montpellier. Les mérites et les inconvénients de ce vitalisme sont exactement inverses de ceux du mécanisme. Les mérites, tout d'abord: le vitalisme met en lumière ce à quoi le mécanisme était aveugle, l'originalité des phénomènes biologiques. Les inconvénients ensuite: l'invocation d'une "force vitale" est le type même de la fausse explication de cette originalité; autant expliquer les effets narcotiques de l'opium par sa "vertu dormitive"! En ce sens, le mécanisme cartésien est, pour la science biologique, un modèle inapplicable quant à son contenu, mais indépassable quant à son intention; et on peut trouver à travers lui ce qui défi-nit pour toute biologie ses conditions d'intelligibilité scientifique. Si la biologie a depuis longtemps abandonné la référence cartésienne à l'automate, elle trouve aujourd'hui encore, du côté de la machine*, un modèle théorique fructueux: la machine cybernétique et les théories de l'information à partir desquelles nous pouvons comprendre la programmation génétique. À l'encontre de la
philosophie de Bergson* voyant agir, dans le vivant, la créativité d'un "élan vital", la biologie contemporaine continue ainsi, trois siècles après Descartes, d'affirmer que "la
vie n'existe pas". Entendons: la "vie*" n'est pas une entité mystérieuse nichée au coeur des vivants. La notion d'organisme a remplacé celle, trop métaphysique, de vie, et ce sont les propriétés physico-chimiques de l'organisme (l'A.D.N.), c'est-à -dire les lois ordinaires de la nature, qui expliquent les caractères spécifiques et remarquables des êtres vivants (reproduction, autorégulation, évolution...). -Le problème de la finalité Le mécanisme cartésien excluait de voir dans la nature, et donc dans les phénomènes de la vie, la manifestation de fins. Il s'opposait en cela au finalisme* qui était par exemple celui d'Aristote, et selon lequel ce sont les fonctions* qui expliquent les organes, donc que c'est à partir des fins liées à ces fonctions que l'on doit comprendre le
vivant (l'oeil est
fait "pour" voir, etc.). Là encore, le mécanisme semble correspondre aux exigences d'une représentation scientifique du monde: ce serait de l'anthropomorphisme* de voir dans la nature un être conscient poursuivant des buts. Et pourtant, là encore, il faut sauvegarder l'intention scientifique du mécanisme mais refuser ses conclusions. Car dans un être vivant, l'adaptation des organes à leurs fonctions est telle qu'il est difficile de ne pas comprendre les manifestations de la
vie en termes de buts ou de projets. Au siècle dernier, un grand physiologiste comme Claude Bernard le reconnaissait, et, aujourd'hui, le prix Nobel Jacques Monod* renchérit: nous devons reconnaître que "dans leur structure et leurs performances [les êtres vivants] réalisent et poursuivent un projet" (_Le Hasard et la Nécessité._) C'est ce que Jacques Monod appelle le caractère "téléonomique" des êtres vivants (du grec telos, "fin", et nomos, "loi"). Il y a là , pourtant, une contradiction épistémologique, car le postulat d'objectivité qui fonde toute science est précisément le refus des causes* finales. C'est peut-être encore de la génétique que viendrait la solution de cette contradiction: ne réalise-t-elle pas, avec la notion de programme, la synthèse entre le modèle -permanent- de la machine (ici la machine informatique) et les "faits téléonomiques" constatés par les biologistes? -Biologie et éthique La biologie rencontre la
philosophie sur un autre terrain que celui de l'épistémologie: l'éthique*. Les débats liés à l'expérimentation sur les êtres vivants existent depuis longtemps, mais les progrès de la génétique laissent entrevoir la possibilité de manipulations dont les effets sociaux, moraux et politiques ne peuvent laisser les biologistes indifférents: doit-on favoriser ou empêcher la naissance de tel type d'enfant, pratiquer l'eugénisme? Sur toutes ces questions, la responsabilité du biologiste est au moins aussi importante que celle du physicien devant les problèmes de l'atome, et il ne peut guère éviter aujourd'hui, comme le généticien Jacques Testard prenant la décision d'interrompre certaines de ses recherches, d'être moraliste et, dans ce sens, philosophe. TERMES VOISINS: organisme; vie. TERMES OPPOSÉS: inerte; inorganique; matière. CORRÉLATS: animal; bioéthique; évolution; machine; science. MACHINE (n. f.) ÉTYM.: grec mêchanê, "machine", "ruse". SENS ORDINAIRE: forme développée de l'outil: ensemble de mécanismes combinés, destiné à produire un effet approprié à partir d'une impulsion initiale. Pour les Grecs, la machine est conçue comme un expédient, une ruse de l'homme contre la nature (ce sens se retrouve dans "machination"). Mais le développement même du machinisme et de l'automatisation a modifié considérablement cette représentation. À partir du XVII^e siècle, la machine a servi de modèle à la
physique scientifique: la nature entière est assimilée à une "gigantesque machine en laquelle il n'y a rien du tout à considérer que les figures et les mouvements de ses parties" (Descartes*). Le corps*
humain et l'animal* (c'est-à -dire en général les phénomènes biologiques) ne font pas exception à cette règle. Dans ce monde-machine, il n'y a ni causes finales, ni intentions secrètes ou forces occultes, ni principes immatériels comme l'"âme*" à considérer. La nature devient rationnelle et peut être, en principe, entièrement maîtrisée -même si, chez Descartes, le monde suppose, comme toute machine, une intelligence créatrice qui ne peut être, compte tenu de la perfection de l'objet créé, que Dieu*. La science n'a cessé, depuis Descartes, de faire de la machine un principe d'intelligibilité pour la compréhension du monde, même si le modèle de la machine-automate, qui était celui du XVII^e siècle, a laissé aujourd'hui la place à celui de l'ordinateur et des théories de l'information (génétique, linguistique...). Cette valorisation scientifique de la machine a conduit à tenir le développement du machinisme pour un progrès de la civilisation, libérant l'homme des travaux les plus pénibles. Cependant le XIX^e siècle, en particulier sous l'influence du mouvement romantique, voit naître une critique virulente de la machine, alors opposée au sens*, à la vie* et à la création*: d'où le thème de l'homme aliéné par la machine ou dévoré par une
existence "machinale", qui alimente, aujourd'hui encore, des réflexions critiques sur la
société contemporaine ou sur le travail*. TERMES VOISINS: automate; mécanisme. CORRÉLATS: mécanique; mécanisme; nature; science; technique; travail.
Georges Canguilhem, médecin et philosophe, s'interroge dans son livre Le Normal et le Pathologique sur la signification de ces deux termes en médecine. Il
fait remarquer, après Bichat, que parler d'une «
physique » ou d'une « mécanique pathologiques » n'aurait aucun sens. Si la biologie — contrairement aux autres sciences de la nature — peut se doubler d'une médecine, c'est bien parce que la notion de loi n'a pas le même sens, pour les êtres vivants, que pour l'ob¬jet de la
physique ou de la chimie. La norme, en biologie, est ce dont les êtres vivants peuvent toujours s'écarter, ce qui justifie l'intervention thérapeutique comme tentative d'opérer un retour à la norme. Cependant, tout écart par rapport à une norme n'est pas en lui-même pathologique. Toute espèce admet une marge de variation qui lui permet de se modifier et de s'adapter lorsque le milieu vient à changer. L'anomalie — écart par rapport à la norme — est donc en elle-même neutre, et non pas indexée d'une connotation négative. Ce n'est que dans le rapport du
vivant à son milieu qu'une simple anomalie peut devenir pathologie. C'est dans la mesure où l'écart qu'il présente par rapport à la norme de l'espèce le rend incapable de s'adapter au milieu qui est le sien que cet écart peut être revêtu d'une signification pathologique. C'est donc la
vie elle-même et elle seule qui juge, en opérant une sélection, de la valeur positive, novatrice, ou au contraire régressive — pathologique — d'une anomalie. Et ce jugement de la
vie passe par l'évaluation du patient lui-même. Valere, en latin, « avoir de la valeur », signifie d'abord se bien porter. N'est donc pathologique que ce qui est vécu et perçu comme tel par le patient concerné : la maladie consiste dans l'incapacité ou la difficulté ressenties de s'adapter aux exigences des milieux dans lesquels nous sommes appelés à vivre. C'est donc en dernière analyse la demande du patient qui fonde seule la pertinence de l'acte thérapeutique par lequel le médecin tente de rétablir la « santé ».
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La machine a gagné l'homme ; l'homme s'est fait machine. Il fonctionne et ne vit plus. -
Mohandas Karamchand Ghandhi
Il cherche la fameuse machine à  peser les balances. -
Jacques Prévert
La machine conduit l'homme à  se spécialiser dans l'humain. -
Jean Fourastié
On ne sait jamais si un livre va se vendre ou non, prétend cet hypocrite écrivain à succès qui tape directement ses romans à la machine à calculer. -
Eric Chevillard
Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant. -
Victor Hugo