Pourquoi défendre le faible ? (BAC 1983)
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Un début de problématisation ...
Pourquoi défendre le faible ?
PROBLEME :
Comme la plupart des autres
sujets sur la justice, cette question pose le problĂšme du fondement du
droit positif, Ă savoir s'il existe ou non un
droit idéal, ou si tout
droit se ramĂšne au
droit positif, c'est-Ă -dire s'il n'existe pas de
justice en dehors des lois. Que dire du
droit du plus fort ?
Est-ce en Ă©coutant ce que dit le
droit que nous connaissons et faisons ce qui est juste ? Pour savoir ce qui est juste, suffit-il de consulter la loi ?
-L'impossibilité de fonder le
droit sur le
fait Le
droit est nécessairement institué: si sa fonction est de rectifier, il serait contradictoire qu'il aille chercher ses fondements dans ce qui est déjà là . Les
faits ne justifient pas le droit. Dans un passage célÚbre du _Gorgias_ de Platon* (483b sq.), l'un des personnages, CalliclÚs*, affirme que le droit, qui met les
hommes à égalité devant la loi*, est injuste. La véritable loi, c'est le
fait de la nature -l'inégalité: "Si le plus fort domine le moins fort et s'il est supérieur à lui, c'est là le signe que c'est juste [...] conformément à la nature du droit, c'est-à -dire conformément à la loi, oui, par Zeus, à la loi de nature..." Une telle
volonté de rabattre le
droit sur des rapports de force naturels est en
rĂ©alitĂ© un dĂ©ni du principe mĂȘme du droit: rĂ©duisant le
droit au fait, elle refuse le
droit au profit de la violence*. Socrate a du reste
beau jeu de répondre que si on se ralliait à cette thÚse, il faudrait se soumettre à la foule des "faibles" qui, toujours plus forte que CalliclÚs, imposerait sa loi... Mais en réalité, aucune force, fût-ce celle de la foule, ne fondera jamais aucun droit. Comme le montre magistralement Rousseau* (_Du contrat social_, I, 3), l'idée de
droit du plus fort est contradictoire dans les termes. Parce que le "plus fort ", en effet, n'existe pas: s'il suffisait d'ĂȘtre "plus fort" pour ĂȘtre toujours le maĂźtre, on ne ferait pas appel au droit. Parce que se rĂ©clamer du droit, c'est instituer des obligations durables, irrĂ©ductibles aux
faits rĂ©els, qui peuvent bien les violer, mais ne sauraient les annuler: il ne suffit pas qu'un voleur ait la force ou l'habiletĂ© de me prendre mon portefeuille pour en faire sa propriĂ©tĂ© lĂ©gale, mĂȘme s'il le possĂšde en fait. Un
droit digne de ce nom ne saurait ĂȘtre "un
droit qui périt quand la force cesse". Pour comprendre que le "droit du plus fort" est une absurdité, il suffit de voir qu'il suffirait alors d'avoir la force de désobéir pour en avoir le droit... -Droit naturel et
droit positif Si le
droit ne peut se fonder par le fait, il faut cependant admettre que les
faits nous imposent le droit. C'est ce que démontrent les théoriciens du "droit naturel". Il ne s'agit pas pour eux de voir dans la nature* un modÚle du droit, mais d'établir que, imaginés sans
société ni loi, les
hommes seraient obligés d'instaurer le droit. Pour Hobbes*, par exemple, c'est en vertu de la "loi de nature" qui "interdit aux gens de faire ce qui mÚne à la destruction de leur vie" (_Léviathan_, chap. XIV), qu'il serait obligatoire de sortir de cet état d'insécurité en instaurant l'association, le
droit et le pouvoir* qui l'institue. MĂȘme chez Hobbes donc, pourtant thĂ©oricien de la souverainetĂ© absolue, c'est pour corriger la nature et empĂȘcher les rapports de force interindividuels que les
hommes ont institué le droit. Le
droit naturel n'est pas un
droit existant naturellement, mais la mise en évidence de la vraie nature du droit. Ce n'est pas la nature, mais la raison* qui institue le droit, précisément pour corriger la nature. Si bien qu'il devient possible de se réclamer du
droit naturel pour combattre les excÚs des différents
droits positifs (les systÚmes juridiques tels qu'ils sont réellement institués dans les diverses sociétés). Ici encore, le
droit (naturel) rectifie le
fait (le
droit positif). De ce point de vue, les critiques adressées à l'idée de
droit naturel (cf. par exemple Hans Kelsen*, _ThĂ©orie pure du droit_, 1934) ont tout Ă
fait raison de refuser qu'il se réduise aux simples commandements de la nature ou de Dieu, mais n'éliminent pas la question de savoir ce qui fonde le droit, sauf à courir le risque de réduire la norme* au
fait (les systĂšmes de
droit positif et leur logique interne). -Les conditions de légitimité du
droit S'interroger sur ce qui fonde le droit, c'est se demander à quelles conditions une loi est juste -et cela seul nous autorisera à parler de "lois injustes"», à distinguer légitimité et simple légalité*, et à penser les conditions d'un
droit de résistance à l'oppression. En dépit de ses limites (parce qu'il
fait délibérément abstraction des conditions historiques d'existence du
droit positif, toujours déjà là ), le modÚle théorique du contrat* nous
fait clairement comprendre que la logique interne du droit, c'est la réciprocité: il faut que le
droit soit instituĂ© de telle sorte que chacun, pour peu qu'il soit suffisamment Ă©clairĂ©, reconnaisse les conditions de satisfaction Ă©quitable de ses intĂ©rĂȘts. Comme le montre trĂšs bien Rousseau, la condition fondamentale de lĂ©gitimitĂ© du
droit -et du
pouvoir qui l'institue- c'est sa conformité à la
volontĂ© gĂ©nĂ©rale*, qui n'est jamais addition et soustraction de volontĂ©s particuliĂšres aveuglĂ©es par des intĂ©rĂȘts privĂ©s, mais recherche de l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. S'il remplit ces conditions, le
droit pourra user de la force (droit pénal), non plus comme d'un fondement abusif, mais comme d'un instrument de respect des lois*, c'est-à -dire de liberté*. Car, puisque le
droit est rendu nécessaire par l'incapacité des individus à régler spontanément leurs relations, il serait vain d'imaginer qu'il suffise de promulguer la loi pour la faire respecter. Contrairement à la morale*, qui repose sur la seule autorité de la
conscience de chacun, le
droit est nĂ©cessairement contraignant. Peut-ĂȘtre faut-il ajouter que, nĂ© de l'imperfection de l'homme, le
droit est lui-mĂȘme mĂȘme toujours imparfait. Comme le dit Kant*: "Dans un bois aussi courbe que celui dont est
fait l'homme, on ne peut rien tailler de tout Ă
fait droit. La nature ne nous impose que de nous rapprocher de cette idée" (_Idée d'une
histoire universelle [...]_, 6^e proposition). De là le ambiguïtés de la notion de justice*: si la
justice au sens lĂ©gal peut ĂȘtre dĂ©clarĂ©, injuste, c'est prĂ©cisĂ©ment parce que l'humanitĂ©, incapable de se conformer entiĂšrement Ă son essence morale,
fait du droit, selon la belle expression de Kant, "une idée à réaliser dans un horizon infini c'est-à -dire à laquelle on n'a jamais le
droit de renoncer, vers laquelle on doit toujours avancer, mais qu'on ne doit jamais croire totalement accomplie.
Organisation du plan
1. Le
droit nous parle des lois : mais s'agit-il des lois positives, décrétées par un gouvernement, ou des lois de la nature ? Que signifie alors le juste ?
2. Droit et action juste semblent dans l'absolu difficilement conciliables : la loi est gĂ©nĂ©rale, elle s'applique Ă tous de la mĂȘme façon. Il est mĂȘme de notre
devoir de désobéir à une loi injuste.
3/ Il faut donc considérer le
droit et l'action juste dans l'expérience concrÚte, vécue au quotidien, et non comme une idée abstraite. C'est pourquoi il est impératif de prendre en compte les enjeux moraux du droit.
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