la démocratie peut-elle être critiquée?
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Un début de problématisation ...
La démocratie peut-elle être critiquée ?
Problématique :
Bien lire le sujet: pensez aux deux sens du mot «pouvoir» : a-t-on le
droit de critiquer la démocratie? Est-il possible de critiquer la démocratie? (ce qui revient à dire : la démocratie est-elle critiquable?) Le deuxième sens est le plus important mais il pourra être inté¬ressant de relier les deux questions, en montrant par exemple que le
droit à la critique, caractéristique des démocraties, est une condition de leurs progrès.
Le
sujet porte sur la démocratie en général et non sur la Ve République française ou sur tout autre exemple de démocratie. Il serait au plus haut point désastreux de traiter le
sujet en faisant un cata¬logue des maux de notre société! Pour éviter cela, il faut s'inter¬roger sur l'essence de la démocratie.
Un point de départ à discuter : le
sujet vous invite à examiner l'idée que la démocratie serait le meilleur régime politique.
Recherche du problème: la difficulté majeure du
sujet est dans la recherche d'une problématique qui unifie les multiples critiques pos¬sibles de la démocratie. Il est en effet impératif de ne pas faire un catalogue de toutes les critiques envisageables. C'est ici encore une analyse de l'essence de la démocratie qui livrera la solution. En découvrant ce qui caractérise en son fond la démocratie (la souve¬raineté populaire, la
volonté générale), on atteindra par là -même la racine des problèmes qu'elle pose : les multiples critiques de la démocratie s'organisent toutes autour des complexes notions de
volonté générale et d'intérêt général.
Textes de référence :
Tocqueville
« Je pense que l'espèce d'oppression dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde ; nos contemporains ne sauraient en trouver l'image dans leurs souvenirs. Je cherche en vain en moi-même une expression qui reproduise exactement l'idée que je m'en forme et la renferme; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer.
Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux et ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.
Au-dessus d'eux s'élève un
pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les
hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur
bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre : il pour¬voit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? » Tocqueville, De la démocratie en Amérique, livre II, partie4, §29
Peut-on parler d’oppression démocratique ?
« Un
pouvoir absolu prévoyant et doux »
La création d'une nouvelle
société en Amérique au milieu du ,ar siècle constitue un terrain d'observation privilégié des mutations politiques en Occident. Les deux fondements idéologiques de la Révolution française, l'égalité et la liberté, y apparaissent dans un rapport qui semble conflictuel : une certaine forme d'égalité nuit à la
liberté politique.
De la tyrannie* John LOCKE
« La tyrannie est l'exercice d'un
pouvoir outré, auquel qui que ce soit n'a
droit assurément : ou bien, la tyrannie est l'usage d'un
pouvoir dont on est revêtu, mais qu'on exerce, non pour le bien et l'avantage de ceux qui y sont soumis, mais pour son avantage propre et particulier ; et celui-là , quelque titre qu'on lui donne, et quelques belles raisons qu'on allègue, est véritablement tyran, qui propose, non les lois, mais sa
volonté pour règle, et dont les ordres et les actions ne tendent pas à conserver ce qui appartient en propre à ceux qui sont sous sa domination, mais à satisfaire son ambition particulière, sa vengeance, son avarice, ou quelque autre
passion déréglée. (...)
Partout où les lois cessent, ou sont violées au préjudice d'autrui, la tyrannie commence et a lieu. Quiconque, revêtu d'autorité, excède le
pouvoir qui lui a été donné par les lois, et emploie la force qui est en sa disposition à faire, à l'égard de ses sujets, des choses que les lois ne permettent point, est, sans doute, un véritable tyran ; et comme il agit alors sans autorité, on peut s'opposer à lui tout de même qu'à tout autre qui envahirait de force le
droit d'autrui'. Il n'y a personne qui ne reconnaisse qu'il est permis de s'opposer de la même manière à des magistrats subordonnés. Si un
homme qui a eu commission de se saisir de ma personne dans les rues, entre de force dans ma maison et enfonce ma porte, j'ai
droit de m'opposer à lui comme à un voleur, quoique je reconnaisse qu'il a
pouvoir et reçu ordre de m'arrêter dehors. Or, je voudrais qu'on m'apprît pourquoi on n'en peut pas user de même à l'égard des Magistrats supérieurs et souverains, aussi bien qu'à l'égard de ceux qui leur sont inférieurs ? Est-il raisonnable que l'aîné d'une famille, parce qu'il a la plus grande partie des biens de son père, ait
droit par là de ravir à ses frères leur portion' ; ou qu'un
homme riche, qui possède tout un pays, ait
droit de se saisir, lorsqu'il lui plaira, de la chaumière ou du jardin de son pauvre prochain ?
Bien loin qu'un
pouvoir et des richesses immenses, et infiniment plus considérables que le
pouvoir et les richesses de la plus grande partie des enfants d'Adam, puissent servir d'excuse, et surtout de fondement légitime pour justifier les rapines et l'oppression, qui consistent à préjudicier Ã
autrui sans autorité : au contraire, ils ne font qu'aggraver la cruauté et l'injustice ».J. Locke, Traité du gouvernement civil (1690), chap. XVIII, trad. D. Mazel, Garnier-Flammarion, pp. 331-332 et 334-335.
Sur l'auteur
John Locke (1632-1704) fut officiellement médecin du comte de Shaftesbury. Il séjourna en France puis, suspect aux yeux des Stuart alors au
pouvoir (on le soupçonna même de faire partie d'un complot contre le roi). il se réfugia en
I lollande.
Il y' resta jusqu'à la Révolution de 1688, qui aboutit l'année suivante au Bill des Droits substituant à la monarchie absolue un régime de monarchie constitutionnelle, protégeant les citoyens contre les abus du pouvoir. Nommé commissaire des Appels, puis au Commerce et aux Plantations, Locke entreprend de publier son œuvre philosophique après son retour en Angleterre : si l'Essai sur l'entende¬ment
humain élabore la
théorie empiriste de la connaissance, les différents textes politiques font à leur façon le bilan de l'histoire récente de l'Angleterre. Très célèbre pendant tout le xve siècle, sa
pensée politique aura une influence en Angleterre (la Déclaration de 1689 correspond à ses voeux), en France (où elle est saluée par Voltaire et Montesquieu) et en Amérique (son influence est patente dans la Décla¬ration d'indépendance de 1776).
L'intérêt philosophique du texte
Dans son Traité du gouvernement civil, conçu durant son exil. Locke se montre farouchement hostile à l'absolutisme. Il v fonde le libéralisme politique. niais en l'orientant par des préoccupations intellectuelles et morales. L'ouvrage s'inscrit dans le grand élan libéral qui traverse la réflexion
politique anglaise au second mir siècle ; pour Locke, l'ordre
politique ne saurait trouver son origine dans un décret divin : il se définit par rapport à une loi naturelle initiale qui est simultanément commandement de Dieu, règle de la
raison et loi régissant la nature de toutes choses. L'ordre
politique vient corriger les dérèglements de cette loi naturelle lorsque les
hommes se laissent dominer par leurs passions, en particulier celle de la richesse.
I,a
société civile, fondamentalement législatrice, et à laquelle les
hommes adhèrent par « consentement », est ainsi fondée pour garantir les biens propres à chacun' — garantie que réclame la raison. Dans cette
société civile la souveraineté appartient à tous, au « peuple » : il est donc logique que ceux qui auront pour charge de le diriger ne disposent que d'un
pouvoir limité.
Au cours de ses années d'exil, Locke a médité sur le
droit à la résistance, dont le Traité
fait la
théorie : puisque l'autorité
politique ne se fonde que sur le consentement du peuple, elle ne peut trahir la confiance de ce dernier (en prétendant devenir absolue) sans se défaire elle-même et légitimer automatiquement l'opposition du peuple. Une telle situation s'accompagnera sans doute de désordres et de troubles : le responsable en sera non le peuple lui-même, mais bien le tyran, puisqu'il est le premier coupable de la violation des lois. L'excès de
pouvoir équivaut ainsi à l'injustice suprême : il pervertit non seulement celui qui l'exerce en opprimant les sujets, mais, de surcroît, il déstabilise l'ensemble de l'organisation
politique en rendant nécessaire les troubles sociaux.
Montesquieu et la Monarchie
« La force des lois dans l'un, le bras du prince toujours levé dans l'autre, règlent ou contiennent tout. Mais dans un état populaire, il faut un ressort de plus, qui est la vertu.
Ce que je dis est confirmé par le
corps entier de l'histoire et est très conforme à la nature des choses. Car il est clair que dans une monarchie, où celui qui
fait exécuter les lois se juge au dessus des lois, on a besoin de moins de vertu que dans un gouvernement populaire, ou celui qui
fait exécuter les lois sent qu'il y est soumis lui-même, et qu'il en portera le poids [...]
Les Politiques grecs, qui vivaient dans le gouvernement populaire, ne reconnaissaient d'autre force qui pût les soutenir que celle de la vertu. Ceux d'aujourd'hui ne nous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses, de luxe même.
Lorsque cette vertu cesse, l'ambition entre dans les coeurs qui peuvent la recevoir, et l'avarice entre dans tous. Les
désirs changent d'objets : ce qu'on aimait, on ne l'aime plus ; on était libre avec les lois, on veut être libre contre elles ; chaque citoyen est comme un esclave échappé de la maison de son maître ; ce qui était maxime, on l'appelle rigueur ; ce qui était règle, on l'appelle gêne ; ce qui était attention on l'appelle crainte... La République est une dépouille ; et sa force n'est plus que le
pouvoir de quelques citoyens et la licence de tous. »
Montesquieu, De l'esprit des lois, Livre III, 3.
Thèse – La monarchie et le despotisme ont au moins ceci de commun qu'ils n'exigent pas des individus qu'ils soient politiquement responsables ; le respect des hiérarchies pour l'une, la crainte pour l'autre, suffisent à les faire fonctionner. Il n'en est pas de même en démocratie qui n'existe qu'en
raison de l'effort qu'elle susdite dans l'esprit de chacun. Si les citoyens ne sont pas vertueux, autrement dit de civisme, l'irresponsabilité s'installe et avec elle la fin de la démocratie.
a) Nature et principe de la monarchie et du despotisme. Pour Montesquieu il faut distinguer entre la nature et le principe des gouvernements ; la nature en désigne la forme juridique, tandis qu'en leur principe résident leur
vie et leur stabilité. Ainsi un monarque est-il au dessus des lois parce qu'il en est la source et que l'inégalité est au fondement des relations sociales. Maintenir l'inégalité, c'est-à -dire maintenir l'honneur, le rang et les distinctions est au principe de la monarchie parce qu'ainsi chacun pense agir conformément à la nature des choses. Le despotisme partage avec la monarchie l'exercice solitaire du
pouvoir à la différence que ce
pouvoir étant arbitraire, il ne se
fait obéir que par la crainte qu'il inspire. Mais dans les deux cas, les
sujets n'ont aucune responsabilité
politique ; ils sont voués à l'obéissance, que celle-ci soit forcée ou consentie.
b) Grandeur et décadence de la démocratie. La démocratie est d'une tout autre nature. Si les
hommes y sont égaux, le
pouvoir est également partagé entre tous ce qui implique la responsabilité des citoyens envers les lois dont ils sont les auteurs et les sujets. Sa stabilité se signale par la préférence donnée à l'intérêt général sur l'intérêt particulier et par le
désir de borner les ambitions à l'honneur de servir l'État. La vertu républicaine écarte par conséquent tout amour des richesses qui donnerait aux individus une puissance incompatible avec l'égalité. Or c'est précisément l'amour des richesses qui ruine la démocratie dà ns son principe même. Car dans une
société soumise aux rapports marchands il en coûtera toujours plus de sacrifier l'intérêt particulier à l'intérêt général, puisque personne n'est assuré que celui-ci rapportera plus que la part qu'on lui aura sacrifié. Dès lors chacun prenant ses
désirs pour des droits, la
liberté dégénère en licence, et toutes les obligations sont vécues comme des contraintes. De la démocratie il reste le nom mais pas la chose.
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Citations sur la démocratie peut-elle être critiquée? :
Il n'y a que dans ces courts instants ou la femme ne pense plus du tout à  ce qu'elle dit qu'on peut-être sûr qu'elle dit vraiment ce qu'elle pense. -
Georges Feydeau
La démocratie est un Etat où le peuple souverain, guidé par des lois
qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu'il peut bien faire,
et par des délégués tout ce qu'il ne peut pas faire lui-même. -
Maximilien de Robespierre
La démocratie est une technique qui nous garantit de ne pas être mieux gouvernés que nous le méritons. -
George Bernard Shaw
L'amitié peut-elle parfois se reveller être votre enemis ? -
gwendal fronteau
Une chose peut être vraie,même si elle est au plus point nuisible et dangereuse. -
Friedrich Nietzsche