Faut-il être libre pour être heureux ?
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Un début de problématisation ...
Faut-il être libre pour être heureux ?
Problème : On peut poser ainsi le problème : la
liberté est-elle la condition du
bonheur ? Ne peut-on pas être heureux si l’on n’est pas libre ? Mais est-on jamais absolument libre ?
Bonheur Étymologiquement, chance ou bonne fortune. Le
bonheur désigne un état de contentement et d'accomplissement de soi. La
philosophie antique s'est efforcée d'arracher le
bonheur à son sens premier, qui en faisait ce qui échoit aux
hommes de façon incompréhensible, pour en faire le fruit d'une pratique de la
justice et de la sagesse.
Kant : être digne du bonheur
Kant est, de tous les philosophes, celui qui a développé la critique la plus radicale de l'eudé¬monisme. Certes, tous les
hommes semblent s'accorder à désirer le bonheur. Mais cet accord apparent masque un double désaccord : désaccord sur ce en quoi consiste le bonheur, désac¬cord sur les moyens d'y parvenir. Le
bonheur n'est qu'un idéal de l'imagination, non de la raison. Sous ce mot, chacun imagine des contenus différents. La quête du
bonheur ne peut donc four¬nir à la
volonté aucune loi universelle, tout au plus des conseils. Ce qui peut fournir une loi à notre volonté, et par là à notre action, c'est l'idée de devoir. L'homme agit moralement, c'est-à -dire de façon rationnelle, quand il agit par
devoir et non pas pour être heureux. Il y a pour l'homme un but plus élevé que d'être heureux : c'est de devenir digne d'être heureux.
•Le souverain bien
Les conduites humaines tendent toujours à quelque fin, que l'homme tente d'atteindre par son action. Mais la plupart de ces fins sont à leur tour des moyens subordonnés à d'autres fins. L'idée d'un souverain bien, c'est l'idée d'une fin ultime de l'action humaine, qui vaudrait par et pour elle-même, qui serait désirable en elle-même, et dans laquelle viendraient converger toutes les actions humaines sensées. Les philosophies antiques et médiévales se sont opposées sur la nature de ce souverain bien et sur les moyens de l'atteindre. Pour Épicure, c'est le bonheur, identifié au plaisir, qui est le souverain bien auquel tendent toutes les actions humaines. Pour les stoïciens, c'est la vertu qui est ce souverain bien auquel il faut tendre, le
bonheur du sage n'étant qu'une conséquence de sa
vie vertueuse. Les philosophies modernes se caractérisent par le
fait qu'elles mettent en doute la possibilité d'unifier les différents domaines dans lesquels se déploient les acti¬vités humaines en les faisant converger vers un but unique, quel qu'il soit. •Textes :
Le « je pense » puis la parole m'ont m a n i f e s t é la
liberté : je ne suis pas déterminé par un enchaînement causal, à la différence des
animaux ou les êtres matériels en général. Mais la
liberté se définit-elle seulement de façon négative, comme le
fait de ne pas être déterminé ?
Je ne puis pas aussi me plaindre que Dieu ne m'a pas donné un libre arbitre, ou une
volonté assez ample et parfaite; puisqu'en effet je l'expérimente si vagué et si étendue, qu'elle n'est renfermée dans aucunes bornes. Et ce qui me semble bien remarquable en cet endroit, est que de toutes les autres choses qui sont en moi, il n'y en a aucune si parfaite et si étendue, que je ne reconnaisse bien qu'elle pourrait être encore plus parfaite. Car, par exemple, si je considère la faculté de concevoir qui est en moi, je trouve qu'elle est d'une fort petite étendue, et grandement limitée, et tout ensemble je me représente l'idée d'une autre faculté beaucoup plus ample, et même infinie; et de cela seul que je puis me représenter son idée, je connais sans difficulté qu'elle appartient à la nature de Dieu. En même façon si j'examine la mémoire, ou l'imagination, ou quelque autre puissance, je n'en trouve aucune qui ne soit en moi très petite et bornée, et qui en Dieu ne soit immense et infinie. Il n'y a que la seule volonté, que j'expérimente en moi être si grande que je ne conçois point l'idée d'aucune autre plus ample et plus étendue : en sorte que c'est elle principalement qui me
fait connaître que je porte l'image, et la ressemblance de Dieu. Car encore qu'elle soit incomparablement plus grande dans Dieu que dans moi, soit Ã
raison de la
connaissance et de la puissance qui s'y trouvant jointes la rendent plus ferme et plus efficace, soit à raison de l'objet, d'autant qu'elle se porte et
s'étend infiniment à plus de choses; elle ne me semble pas toutefois plus grande, si je la considère formellement et précisément en elle-même : car elle consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose ou ne la faire pas (c'est-à -dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir) ou plutôt seulement en ce que pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l'entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons point qu'aucune force extérieure nous y contraigne. Car afin que je sois libre, il n'est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l'un ou l'autre des deux contraires, mais plutôt d'autant plus que je penche vers l'un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le
vrai s'y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l'intérieur. de ma pensée, d'autant plus librement j'en fais le choix et je l'embrasse : et certes la grâce divine et la
connaissance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l'augmentent plutôt et la fortifient. De façon que cette indifférence que je sens lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et
fait plutôt paraître un défaut dans la
connaissance qu'une perfection dans la volonté; car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai, et ce qui est bon, je
ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement, et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais entièrement libre sans jamais être indifférent.
R. Descartes, Méditations métaphysiques
Ce texte est extrait d'une réponse de Descartes à la lettre d'un de ses correspondants qui l'interrogeait à propos d'un passage de la quatrième méditation métaphysique dans laquelle il disait : « de façon que cette indifférence que je sens lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la
liberté et
fait plutôt paraître un défaut dans la
connaissance qu'une perfection dans la
volonté » (Méditations métaphysiques, Pléiade, p. 305).
L'indifférence est cet état dans lequel se trouve la
volonté lorsqu'ayant à se décider elle a le choix entre deux actions et qu'elle n'éprouve aucune inclination, ni ne perçoit de
raison de choisir. Descartes juge que, concrètement, cet état est celui de la moindre liberté. Le terme d'indifférence est d'ailleurs un terme négatif qui désigne un manque d'éléments d'appréciation plutôt qu'une disponibilité quelconque. Dans un cas d'indifférence totale je m'en remets, la plupart du temps, au hasard d'un coup de d é ou du « pile ou face », remplaçant la décision de la
volonté par un événement quelconque du monde. Inversement ma
liberté ne saurait être remise en question sous prétexte que j'aie des raisons (dûment établies) d'agir comme je le fais. Si je n'agis pas pour des raisons conscientes, j'agis pour des causes ce qui est proprement le contraire de la vérité.
Descartes concède toutefois qu'on peut penser l'indifférence (dont il ne nie pas l'existence mais son lien avec la liberté)également comme une « faculté positive » c'est-à -dire comme la condition purement formelle de la liberté. Il faut penser une capacité toujours présente de refuser même ce qu'on juge bon ou vrai, d'affirmer envers et contre tout une «
liberté » qui existe de simplement s'affirmer. Cette indifférence conçue cette fois positivement ne peut certes entraîner qu'un comportement irrationnel ou immoral puisqu'elle consiste à ne pas faire ce pour quoi nous avons des raisons évidentes d'agir, ce qu'est pour Descartes la vraie
liberté — « Moralement parlant » c'est-à -dire raisonnablement il est inadmissible que nous fassions le contraire de ce qui est raisonnablement bon. C'est « absolument parlant », c'est-à -dire sans égard à autre chose que le pur concept du libre-arbitre, que nous devons penser la possibilité d'un choix libre et irrationnel.
Descartes ne concède donc pas grand chose puisqu'il n'accorde que la possibilité théorique d'une indifférence positive. Il est certes possible que nous agissions contre toute
raison afin de donner
corps à cette indifférence, ou pour prouver notre liberté, mais agir afin d'établir une affirmation de soi ne pourrait guère conduire qu' à une
vie vide et dénuée de sens. L'indifférence même conçue comme une
volonté positive (et non comme simple absence de fondement à une décision) est donc bien encore le plus bas degré de la liberté.
Mon indécision (c'est-à -dire la
liberté d'indifférence comprise en sa première acception) ne provient en effet que de mon ignorance à l'égard du meilleur parti à prendre, et ne peut donc se donner à voir comme le plus haut degré de liberté. Je suis en effet d'autant plus libre, non quand j'ai la possibilité de faire n'importe quoi, mais quand j'ai le
pouvoir d'accomplir des actions efficaces, ou de ne pas me tromper, c'est-Ã -dire encore quand je juge en
connaissance de cause. Descartes, dans la quatrième partie des Méditations,
fait pour cette
raison de la
liberté d'indifférence entendue comme indécision une
liberté par défaut:
Cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que
vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait
plutôt paraître un défaut dans la
connaissance qu'une perfection dans la volonté.
Quant à la
liberté d'indifférence comme capacité positive (lettre à Mesland), elle n'est positive que parce qu'elle s'affirme comme telle. Sa seule fin consiste dans le
fait d'en faire usage. Aussi, sauf à supposer une
volonté qui choisit le
mal afin de faire usage de son libre-arbitre, c'est vers ce qu'on croit être le
vrai ou le bien que l'on porte ses choix. Une
volonté sera donc d'autant plus libre qu'elle se déterminera en fonction de ce qu'elle sait être le
vrai ou le bien, au lieu de l'ignorer et de choisir arbitrairement. La
liberté d'indifférence s'assimile donc davantage à l'errance qu' à une réelle liberté. Aussi Descartes affirme-t-il dans la quatrième méditation :
[qu']afin que je sois libre, il n'est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l'un ou l'autre des deux contraires ; mais plutôt, d'autant plus que je penche vers l'un, soit que je connaisse évidemment que le
vrai et le bien s'y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l'intérieur de ma pensée, d'autant plus librement j'en fais choix et je l'embrasse.
La vraie liberté, loin d'être celle qui résulte de l'indétermination de la volonté, est celle où la
volonté est éclairée par l'entendement, et est ainsi déterminée. Ainsi la
liberté d'indifférence n'est-elle qu'une piètre liberté, nous exposant sans cesse au risque de l'erreur.Être véritablement libre, c'est donc vouloir nécessairement ce qui est
vrai ou bon.
Le libre-arbitre divin est
pouvoir de création ex nihilo. Mais est-il possible d'assimiler la
liberté d'indifférence, quand bien même elle serait chez l'homme le plus bas degré de la liberté, à un commencement absolu à partir de rien ? Si la
liberté d'indifférence est totalement indéterminée, d'o ù la
volonté reçoit-elle
La
liberté d'indifférence n'est donc pas le fondement métaphysique indispensable à l'idée de liberté. Une
volonté se détermine en dernière instance toujours en fonction de quelque chose, que ce soit le vrai, le bien, ou un ensemble de pulsions restées inconscientes. Mettre en cause la
liberté d'indifférence n'est cependant pas mettre en péril l'idée de liberté, puisque celle-ci peut se laisser penser en relation avec J'idée de nécessité. Il reste que la capacité qu'a l'âme de penser le déterminisme la place dans une position de recul par rapport à lui et semble du même coup en faire le lieu d'une
liberté privilégiée. Si dans la
connaissance des causes, l'âme comprend et avance selon ses propres lois, et est ainsi source de ses pensées, il semble qu'elle échappe à l'idée d'une détermination. Enfin, l'incapacité dans laquelle on se trouve de penser rationnellement le libre-arbitre ne doit peut-être pas entraîner sa négation, si l'on veut sauvegarder l'idée d'une
expérience morale. Les notions de responsabilité, de mérite, de mal... n'ont de sens qu' à supposer l'existence d'un libre-arbitre, en dépit des déterminations qui orientent pourtant mes actions. C'est pourquoi l'impossibilité de penser le libre-arbitre dans la sphère théorique n'empêche pas, comme le montre Kant dans la Critique de la
raison pure (« des raisonnements dialectiques de la
raison pure », chap. II, 9e section, III, PUF, p. 405-406), la nécessité de le postuler dans la
sphère pratique. Seule la sphère de la moralité peut en effet révéler la libert d'indifférence comprise comme libre-arbitre.
SPINOZA
La réflexion commune tend à identifier libre-arbitre et liberté, et ne comprend cette dernière que comme la capacité de se soustraire de toute détermination. Elle oppose
liberté et nécessité , parce que la
liberté d'indifférence est l'indéterminé par excellence, et
fait du même coup de la
liberté d'indifférence la racine même de toute liberté. Mais la
liberté d'indifférence est-elle le fondement métaphysique de la
liberté ? Il est à noter que d'un autre côté, les
hommes qui nous paraissent libres ne sont pas nécessairement ceux qui sont totalement indéterminés, mais ceux au contraire qui accomplissent ce pour quoi ils semblent être faits. Sera dit libre celui qui réussit à être pleinement lui-même.
Dans un contexte spinoziste, cela signifie qu'est libre celui qui coïncide avec son essence ou, pour le dire autrement, qui exprime sa nécessité propre.
J'appelle libre une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. (« Lettre LVIII », Ouvres 4,éd. GF, p. 303)
Plus un être est nécessaire, c'est-à -dire est parfaitement soi-même, plus il est libre (Dieu comme ensemble des modes est ainsi l'être nécessaire et libre par excellence). Mais chez Spinoza, tout homme, en ce qu'il est une partie de l'étendue, est soumis à l'enchaînement des Causes, et est nécessairement déterminé par une extériorité qui vient alors faire obstacle à sa nécessité interne. C'est ce qui explique que l'homme est soumis à des passions, c'est-à -dire qu'il est la cause inadéquate de ce qui se passe en lui.Être délivré de la
passion et donc de la servitude consiste du coup à devenir la cause adéquate de ce qui se passe en nous. Comment dès lors l'homme peut-il être véritablement lui-même et ainsi être véritablement libre Il doit s'efforcer de parvenir à une
connaissance claire et distincte de ses affections, pour qu'elles cessent d'être des passions. Ainsi, un
homme qui subit un amour
passion devra, après en avoir eu une
connaissance claire et distincte, récupérer l'énergie présente en cet amour et affirmer par l à son essence. Car (Éthique, IV, proposition LIX), « à toutes les actions auxquelles nous sommes déterminés par une affection qui est une passion, nous pouvons être déterminés sans elle par la
raison ». Il faut pour ce faire s'attacher à connaître les lois de la nature, l'enchaînement nécessaire des causes ; seule cette compréhension pourra me permettre de trouver une harmonie entre ma nécessité interne et la nécessité externe. Elle est le point de départ d'une libération par rapport à tout ce qui entrave l'affirmation de mon être propre et de ma liberté. Ce que ce long développement établit, c'est que la négation de la
liberté d'indifférence, loin de rendre impossible toute forme de liberté, permet au contraire de parvenir à la
liberté véritable, qui consiste à être parfaitement soi-même, dans un accord avec les déterminations extérieures (et non dans une indépendance par rapport à elles). Si le libre-arbitre a la nécessité pour
contraire, tel n'est pas le cas de la liberté, qui ne se comprend chez Spinoza qu'en référence à elle, dans le refus de la
liberté d'indifférence.
Parvenir à la
connaissance adéquate de mes affections et vivre selon la
raison me permet certes d'augmenter ma puissance. La conduite rationnelle ne ressemble pas du dehors à la conduite passionnelle. Il reste que notre puissance est limitée, du
fait de celle des causes extérieures. C'est pourquoi, face aux événements qui viennent contrarier notre être propre, et que nous ne pouvons • éviter, Spinoza (Éthique, IV, chap. XXXII)
fait allusion à un contentement de l'âme purement intérieur. Il s'agit de supporter d'une âme égale les événements qui nous sont contraires. On peut dès lors affirmer que l'âme peut en quelque sorte rester libre en adoptant une indifférence face aux choses extérieures. On est tout près ici (et bien que Spinoza s'oppose ailleurs à la doctrine stoïcienne) de l'idée stoïcienne d'après laquelle il faut se détacher des choses qui ne dépendent pas de nous', afin de trouver le souverain-bien. C'est l'indifférence du sage qui est garante de sa liberté. La
liberté du sage est donc bien
liberté d'indifférence, non pas cependant en ce qu'elle se confond avec le libre-arbitre, mais en ce qu'elle s'obtient par la systématisation d'une indifférence à l'égard des choses sur lesquelles nous n'avons en dernière instance aucun pouvoir.
La nécessité selon Spinoza Analysons, chez Spinoza, le mécanisme de cette conversion de la nécessité en liberté.Être libre, ce serait pour Spinoza être la cause adéquate de ses actes. Or, nous ne sommes pas spontanément la cause entière de nos actes. Nous sommes des êtres finis et faibles dans la nature, et nous sommes d'abord esclaves, c'est-à -dire que nos actes expriment notre peur de tout ce qui nous menace, bien avant de refléter nos volontés. La joie qui exprime l'accroissement de notre
pouvoir est plus rare dans la
vie que la tristesse qui reflète la diminution de notre puissance,écrasée par les forces aveugles de l'univers. Souvent, les actes des
hommes apparaissent étranges parce qu'ils dépendent à la fois de leurs
désirs et des causes extérieures. Ainsi, bien que notre
désir le plus profond soit de persévérer dans l'existence, il y a des
hommes qui se suicident. Ou bien l'avare, obsédé par l'appétit de l'or, se prive des biens les plus nécessaires à la vie, quoique le seul avantage que puisse assurer la possession de l'or soit la satisfaction de nos besoins. A tout moment, la souffrance, la mort même nous menacent. «Nous sommes agités de bien des façons par les causes extérieures et pareils aux flots de la mer, agités par les vents contraires, nous flottons inconscients de notre sort et de notre destin'.» (Spinoza, Ethique)
La
liberté spinoziste Comment convertir en
liberté cette servitude originelle de la condition humaine ? Pour être libre, il
estcompréhensionfaudrait que l'homme n'accomplisse que des actions déterminées par sa nature même et non plus par
de la nécessité les causes extérieures : «J'appelle libre une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature, contrainte celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir2.» Mais, encore une fois, comment l'homme, si fragile dans l'immense univers, parviendra-t-il à se libérer ?
Ici, Spinoza propose une solution qui est celle de la «sagesse» antique. Pour être libre dans l'univers, il suffit d'accepter l'univers ; on ne peut pas avoir tout ce qu'on veut; on se libérera, dès lors, en voulant ce que l'on a. Mais comment accepter tout ce qui nous arrive ? Spinoza répond : par l'intelligence ; pour être libéré, il me suffit de comprendre que tout ce qui m'arrive était nécessaire, de coïncider par mon intelligence avec cette nécessité inéluctable. Si le malheur me frappe, quand j'aurai compris que l'enchaînement des causes et des effets dans l'univers (la concatenatio omnium rerum) rend ce malheur inévitable, je serai apaisé, je cesserai de pâtir, d'envisager mes souffrances sous l'angle borné de mon individualité, pour les considérer du point de vue de la totalité du point de vue de la liaison de toutes choses (c'est-à -dire, dans le
langage de Spinoza, qui confond Dieu et la nature, du point de vue de Dieu). Et je pourrai atteindre non seulement le calme mais la parfaite béatitude en comprenant que «tout découle de l'éternelle détermination de Dieu avec la même nécessité qu'il découle de l'essence du triangle que la somme de ses trois angles est égale à deux droits'».
La
liberté se réduit en somme pour Spinoza à la
conscience de la nécessité. Mais il nous semble difficile de réduire la
liberté à la résignation
Pour Spinoza, se libérer, n'est-ce pas se transformer en esclave volontaire ? Les esclaves de l'univers – que nous sommes tous – seraient-ils d'autant plus libres que leur soumission serait plus intérieure et plus totale ? Cette
théorie porte la marque d'un siècle o ù le développement des
techniques était encore rudimentaire, o ù l'homme n'avait pas encore un grand
pouvoir sur la nature.
Au xxe siècle, une telle attitude de résignation n'est plus suffisante. Elle serait même un peu anormale. Poussée à la limite, elle découragerait toute action concrète. A quoi bon tenter une entreprise si le résultat, quel qu'il soit, doit être accepté comme inévitable ? Certains caractères faibles préféreront même se résigner d'avance. C'est la «résignation présomptive» décrite par des psychiatres allemands, celle du candidat qui, craignant l'échec, ne se présente pas à l'examen, celle du commerçant qui se suicide avant la faillite. Ainsi Gribouille devance la pluie qui pourrait le mouiller, en se jetant dans la rivière. Courir au-devant de la fatalité n'est pas se libérer. Pour se libérer vraiment, il faut dépasser ce «complexe de Gribouille».
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